Dr Strangelove | Dr Folamour (1964) Stanley Kubrick

Titre Original : Dr. Strangelove : or How I learned to stop worrying and love the bomb

Titre Français : Dr Folamour : ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe !

Année : 1964

Pays : G.-B.

Type : Comédie / Guerre / Science-fiction | Durée : 1h33

Réalisation : Stanley Kubrick

Avec Peter Sellers (Capt. Lionel Mandrake / President Merkin Muffley / Dr. Strangelove), George C. Scott (Général ‘Buck’ Turgidson), Sterling Hayden (Brigadier Général Jack D. Ripper, Commanding Officier Burpelson Air Force Base), Keenan Wynn (Colonel ‘Bat’ Guano), Slim Pickens (Major T.J. ‘King’ Kong, le pilote)…


Docteur Folamour

Un film de Stanley KubrikDéconcertant, attachant, irritant… Brillant“, écrivait Jean De Baroncelli, en 1964, dans “Le Monde

On pourrait dire qu’il y a deux films dans ce film. Ce serait inexact. Il n’y a qu’un seul film, qui est une tragédie. Mais cette tragédie nous est présentée alternativement en deux versions : une version sérieuse et une version burlesque, qui ont été mélangées au montage, selon la fantaisie du réalisateur. Le résultat est un film déconcertant, attachant, irritant, explosif au sens propre du mot.

Qu’il s’agisse d’une tragédie, aucun doute là-dessus. Docteur Folamour commence comme un documentaire sur le Strategic Air Command, sur la ronde de ces avions qui tissent en permanence leur réseau défensif. Le danger représenté par ces appareils porteurs de bombes a naturellement été calculé. On peut lire (paraît-il) dans le livre de Peter George qui a inspiré le film : “Ce que disait le président Kennedy à la tribune de l’ONU me paraît éloquent : “Tout homme, toute femme, tout enfant vit sous une épée de Damoclès de type nucléaire, épée qui est maintenue par les fils les plus ténus, qui peuvent casser à tout moment par accident, maladresse ou folie.””

C’est une “rupture” pour cause de folie qu’a choisie Stanley Kubrick. Il imagine qu’un officier mégalomane, possédé par la haine et la peur du communisme, profite d’une manoeuvre du Strategic Air Command pour donner l’ordre à une de ses escadrilles de bombarder une base atomique soviétique. L’ordre étant irréversible, le président des Etats-Unis alerte son homologue russe. Il n’y a qu’un moyen d’éviter le désastre : abattre les appareils américains qui font route vers la base en question. Tous les bombardiers seront détruits, à l’exception d’un seul, qui poursuit inexorablement son vol. Comme le point d’appui soviétique est doté d’éléments de riposte automatiques et d’une puissance prodigieuse, il ne reste plus aux hommes qu’à s’enfermer dans leurs cavernes souterraines, en attendant des jours meilleurs.

Partant de cette ” anecdote “, qui n’est – hélas ! – que trop vraisemblable, Stanley Kubrick a donc réalisé un film en deux versions juxtaposées : le documentaire le plus précis côtoyant à chaque instant la clownerie la plus délirante. On pourrait dire que tout ce qui se passe en l’air est vrai, alors que tout ce qui se déroule au sol apparaît comme une farce diabolique, ubuesque, “cauchemardesque” pour reprendre le mot de Kubrick lui-même. (La scène-clé du film, celle au cours de laquelle les deux chefs d’Etat essaient de se mettre d’accord – non sans mal, car le président du conseil soviétique est ivre mort – sur la marche à suivre, est une incroyable pantalonnade, digne des “Jerry Lewis” les plus farfelus).

On peut évidemment se demander ce qui a poussé Stanley Kubrick à adopter un style si bizarrement hétérogène pour raconter son histoire apocalyptique. A-t-il délibérément voulu provoquer le public en traitant avec une désinvolture agressive un sujet “tabou”, et cela afin de l’obliger à prendre conscience du danger monstrueux qui le guette ? Quel que soit le but poursuivi, Docteur Folamour est un film brillant, alléchant, excitant, un film qui va faire du bruit. (…)

Le Monde du 29 avril 1964

Explosif !

Une “comédie cauchemardesque” sur la menace d’un conflit nucléaire

En 1962, auréolé de soufre par son scandaleux Lolita, Stanley Kubrick décide de consacrer un film à un sujet qui le passionne depuis longtemps : le danger nucléaire. Fidèle à sa méthode, il achète les droits d’un roman, Alerte rouge (1958), et se lance avec son auteur, Peter George, dans l’adaptation de cette histoire hautement dramatique qui voit un général psychotique attaquer la Russie. Très vite, il apparaît qu’écrire sur la bombe contraint à laisser de côté “toute dimension absurde ou paradoxale” de peur de susciter les rires… D’où l’idée de transformer le film en “comédie cauchemardesque”, susceptible d’exorciser les angoisses de la guerre froide.

Kubrick fait alors venir l’excentrique Terry Southern des Etats-Unis, et le film change résolument de ton. Chaque personnage hérite d’un patronyme ridicule, aux connotations ouvertement sexuelles : le nom de Buck Turgidson se passe de commentaires, et celui du général Jack D. Ripper, obsédé par les objets phalliques, évoque le célèbre assassin de prostituées Jack l’Eventreur.

Une fois Folamour lancé dans le registre de la farce, le cinéaste ne se refuse rien. Blagues salaces, bataille de tartes à la crème dans la salle de guerre (une scène coupée au montage) et grand numéro de cabotinage de Peter Sellers, qui joue carrément trois rôles : le capitaine Mandrake, le président, et Folamour lui-même. Inspiré de ces scientifiques nazis engagés par les Américains au sortir de la guerre, Folamour a un accent allemand particulièrement fort : Sellers imite tout simplement le photographe de plateau, le célèbre Weegee, dont Kubrick admire l’oeil acéré et le goût du macabre.

On est dans la franche caricature, ce qui suscite la désapprobation, lors de la sortie du film, de la célèbre critique américaine Pauline Kael : “Docteur Folamour marque le début d’une nouvelle ère cinématographique. C’est un film qui tourne en ridicule toutes les choses et les gens qu’il représente.” Une fois de plus, Kubrick est incompris parce qu’en avance sur son temps : l’ironie systématique, la distanciation froide seront la marque des cinéastes à succès des années 1990, de Tarantino aux frères Coen.

Trente ans auparavant, Kubrick en est déjà là, à traiter ses personnages comme des pantins grotesques et la possible destruction du monde comme un sujet de farce. Il posera le même regard glacial sur les gesticulations de Redmond Barry, alias Barry Lyndon et ses prétentions grotesques à l’ascension sociale. C’est sans doute cet incroyable recul du cinéaste qui permet au ” rire macabre ” de Folamour de résister au temps.

La guerre froide est finie depuis longtemps, et pourtant cette satire n’a rien perdu de son acuité : les décisions prises dans la salle de guerre évoquent d’autres conflits tout récents, les obsessions sexuelles des personnages rappellent l’emprise de la vie privée sur la vie publique, et derrière la peur de la bombe nucléaire se profile celle du terrorisme international. Au fond, Pauline Kael avait raison : en 1963, Docteur Folamour marquait bien le début d’une nouvelle ère.

Florence Colombani 2008 – Le Monde

Bande Annonce : Dr Folamour : ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe ! – Dr. Strangelove : or How I learned to stop worrying and love the bomb ! (1964) Stanley Kubrick