Rumble Fish | Rusty James | Francis Ford Coppola | 1983


Titre Original : Rumble Fish

Titre Français : Rusty James

Année : 1983

Pays : Etats-unis

Type : Drame / Action

Durée : 1h34

Réalisation : Francis Ford Coppola

Avec : Matt Dillon (Rusty James), Mickey Rourke (Motorcycle Boy), Diane Lane (Patty), Dennis Hopper (le père), Diana Scarwid (Cassandra)…


Francis Ford Coppola
Le réalisateur aux deux Palmes d’or, pour ” Conversation secrète ” et ” Apocalypse Now “, n’a pas aujourd’hui la place qu’il mérite à Hollywood.

Si le plus célèbre des cinéastes italo-américains s’appelle Ford, c’est qu’il est né à Detroit, la capitale de l’industrie automobile. Son père, Carmine, est chef d’orchestre, et sa famille l’accompagne dans ses déplacements incessants. En 1949, Francis, 10 ans, est victime d’une épidémie de polio. Paralysé, il doit garder la chambre près d’un an et s’occupe avec des marionnettes. Adolescent, le jeune Coppola remplace les marionnettes par des êtres humains : il tourne des films en 8 mm auxquels il ajoute une bande-son enregistrée au magnétophone.

Etudiant, il est repéré par Roger Corman, producteur de séries B et grand découvreur de talents. Corman finance son premier long-métrage, Dementia 13, un film noir où l’on note un goût certain pour la tragédie familiale. Coppola travaille aussi comme scénariste, une activité qui lui vaudra son premier Oscar. Il tourne pour Warner Big Boy (1967), un émouvant récit d’apprentissage, puis se retrouve prisonnier du système des studios, aux commandes de La Vallée du bonheur (1968), une comédie musicale avec Fred Astaire. Son film suivant, Les Gens de la pluie, portrait d’une épouse insatisfaite qui plaque tout, est un road-movie saisissant.

Coppola fonde alors American Zoetrope, une société de production destinée à aider Lucas ou Scorsese : toute cette génération de cinéastes qui veulent échapper au carcan hollywoodien.
A partir de cette période, Coppola enchaîne les chefs-d’oeuvre : Conversation secrète, qui baigne dans le climat de paranoïa du Watergate ; Le Parrain, son adaptation magistrale du roman de Mario Puzo, et puis le magnifique Parrain II, qui raconte un demi-siècle d’histoire américaine. Le réalisateur se lance ensuite dans une aventure éreintante et folle : Apocalypse Now. Drogué, rongé d’angoisse, il plonge ” au coeur des ténèbres “, comme le héros du court roman de Joseph Conrad qu’il transpose pendant la guerre du Vietnam. Le film est extraordinaire, mais Coppola en sort défait : les producteurs lui tournent le dos.

Il tâte ensuite de tous les genres – la chronique adolescente (Outsiders, Rusty James), la fresque d’époque (Cotton Club, 1984), la comédie (Peggy Sue s’est mariée, 1986) – et revient même à la guerre du Vietnam (Jardins de pierre, 1987). Pendant ce dernier tournage, Coppola perd son fils aîné, Gio, un drame qui hante notamment Le Parrain III.

Ni le dernier volet de la trilogie mythique ni Dracula (1992) ne séduisent assez le public pour que Coppola retrouve la place qui devrait être la sienne à Hollywood. American Zoetrope existe toujours, mais son patron est obligé d’enchaîner les commandes (Jack, avec Robin Williams, 1996 ; L’Idéaliste, avec Matt Damon) et préfère un temps au cinéma la production de vin. On attend pour novembre son adaptation de Mircea Eliade, L’Homme sans âge, et il prépare actuellement en Argentine une épopée italo-américaine, Tetro.

Florence Colombani

Gangster en quête d’idéal


Rusty James
survient à un moment critique de la carrière de Francis Ford Coppola. Alors que les années 1970 ont été celles du triomphe – plusieurs Oscars, deux Palmes d’or, et ce phénomène de société qu’est Le Parrain (1972) -, les années 1980 seront celles des difficultés et des déceptions. Le coût exorbitant d’Apocalypse Now (1979) et l’échec de Coup de coeur (1982) condamnent Coppola au petit budget.

Il choisit d’adapter coup sur coup deux ouvrages de Susan E. Hinton, une romancière populaire notamment chez les adolescents. Outsiders et Rusty James sont tous deux tournés dans l’Oklahoma, avec les jeunes Matt Dillon et Diane Lane. Le premier est un mélo en couleurs très accessible, comme une démonstration de savoir-faire à l’intention des studios ; le second, en noir et blanc et dans un style audacieux qui emprunte à l’expressionnisme allemand, est un ” film d’art et d’essai pour ados “, selon une formule du cinéaste.

Le Rusty James du titre (Matt Dillon) a seize ans et vit en marge de la société, entre un père alcoolique (Dennis Hopper) et sa petite bande d’amis délinquants. Il vit dans le culte de son frère, le ” garçon à la moto ” (Mickey Rourke), qui revient juste à temps d’un périple en Californie pour venir en aide à Rusty et tenter de nouer avec lui un semblant de relation. Les deux personnages s’inscrivent dans une généalogie cinéphile : Rusty ressemble furieusement au James Dean de La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955), tandis que le garçon à la moto préfère à la société des hommes l’errance perpétuelle, comme Marlon Brando dans L’Equipée sauvage (Laszlo Benedek, 1953).

Coppola revisite ce territoire familier du cinéma américain à sa manière : avec une inventivité constante. Le film est tourné en noir et blanc mais s’autorise quelques taches de couleur pour filmer des poissons que le frère de Rusty aimerait libérer de leur bocal : ils sont bleu et rouge, comme le drapeau américain. Les décors sont noyés de brouillards et des ombres ont été peintes sur les murs par Dean Tavoularis, collaborateur essentiel de Coppola, comme à l’époque du Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920). Le cinéaste s’en donne à coeur joie dans l’expérimentation formelle mais Rusty James n’est pas un simple exercice de style. Par son motif central – la relation entre les frères et leur père -, le film coïncide avec l’obsession majeure de Coppola : le microcosme familial, dont le gang est ici un substitut.

Florence Colombani – Le Monde

Bande Annonce VO : Rumble Fish | Rusty James (1983) Francis Ford Coppola